De Nord et d'Est, le vent soufflait en bourrasques; effilochant sur le ciel bleu de glace la charpie blanche des nuages.
Tournant le dos à l'Opéra, le Père Noël hâtait le pas vers Schillerplatz où se tenait l'Académie des Beaux Arts. Il s'engouffra dans le petit hall désert du bâtiment et passa, un peu perdu et étourdi aprés l'agitation atmosphérique du dehors, sous le regard blasé qu'un gardien rechigna à lui accorder du fond de sa loge. Dans le silence un peu froid du bâtiment déserté par ses étudiants, il s'efforça de ne pas faire sonner trop durement ses bottes en gravissant les cinq volées de l'escalier de marbre qui le séparait de la Gemäldegalerie.
Bien qu'il s'attendît à l'y trouver, le Père Noël fut saisi par la vision du tryptique de J. Bosch narrant, sur son panneau de gauche, le Paradis et la Chute; sur son large panneau central, la vie terrestre soumise et succombant à la tentation des figures horrifiantes et grotesques des Sept Péchers; pour s'achever sur son panneau de droite et sous l'oeil satisfait du Prince des Ténèbres dans les rougeoiments de la flamme de l'Enfer.
Lorsqu'il sortit du musée, le vent avait fait place au froid pinçant du crépuscule. Serrant les pans de sa houppelande, le Père Noël se dirigea vers la place de l'Hôtel de Ville pour baguenauder en riant sous cape à travers les ruelles artificielles du Grand Marché de Noël où, de l'abri de leurs barraques en bois, les marchands proposaient leur bimbelotterie au chaland touristique. Le Père Noël, pourtant familier des frimas, goûta avec délice la chaleur de l'arôme fortement giroflée d'un weinner punch et resta un instant serré au milieu des bourgeois agglutinés devant la buvette. Il était temps de se mettre en quête d'un endroit où s'assoir et se remplir plus solidement l'estomac.
Tournant le dos au Rathaus, le Père Noël passa sur la gauche du Burgtheater en direction du Melker Stifskeller heurigen: on lui avait vanté le fondant de son Taffelspitz. Il dut revenir sur ses pas pour trouver enfin l'entrée de la cour au fond de laquelle il put descendre les marches menant à la profonde et large cave voutée où se tenait l'ancien et vénérable établissement. En fait de Taffelspitz, le Père Noël orienta plutôt son choix vers un assortiment copieux de grillades simplement accompagnées de pommes frites, de riz et de crudités, dont un chou mariné à la fois aigre et doux que l'on avait finement émincé.
Et c'est repu que le Père Noël remis le nez dehors. Comme il passait entre les silhouettes sombres et massives des bosquets de la Place Marie Thérèse, l'air qui s'était immobilisé s'anima doucement pour tomber vers le sol en flocons généreux. Le vent se remit alors de la partie, mais plus calme à présent, il semblait plutôt vouloir jouer à faire avec la neige des figures ondulantes dans la lumière des projecteurs qui éclairaient les monuments.
Malgré l'enchantement que lui procurait toujours la chute de la neige, le Père Noël ne fut pas fâché de retrouver sa chambre à l'hôtel des Trois Couronnes. Défait de ses lourds vêtements, il se glissa sous la moelleuse couette, la tête pleine encore des images de cette ville où, il s'en souvenait maintenant, il avait apporté, voilà longtemps, son cadeau de Noël à cet enfant prodige qui jouait si divinement de la musique. Il se dit qu'avant de prendre demain le chemin du retour il aura peut-être le temps de faire un tour dans cette vieille église où fut donné pour la première fois son fameux Requiem.