· Les bras surchagés de
paquets, Mélanie, poussait de l'épaule la porte vitrée du magasin, le
bras replié, de façon qu'à ce que, fléchissant les genoux, son coude
appuyât sur la poignée. Le pain de seigle qu'elle avait justement
coincé sous ce coude profita de la manoeuvre pour glisser au sol et y
rouler jusqu'à ce que les chevilles du dernier client de la longue
file d'attente qui patientait devant le comptoir arrêtassent sa
course. C'était un tout jeune homme qui se baissa pour ramasser ce qui
venait de le heurter et qui, cherchant à en deviner la provenance, vit
Mélanie que sa déconvenue avait figée dans l'entrebaillement de la
porte. Considérant les deux bras encombrés de l'arrivante, il
suspendit le geste qu'il faisait pour lui rendre le pain et
s'étonna : << êtes vous sûre de vouloir encore acheter
quelque chose ? >>
Mélanie lui sourit tristement et balaçant un peu la tête, ce qui lui
évitait de hausser les épaules au risque de voir une autre partie de
son fardeau rouler à terre, elle soupira : << ça n'est
pas que je veuille, mais comprenez, c'est Noël ! >>
·
Boubakar était venu s'assoir contre le mur à la sortie du village. Ses
yeux étaient fixés sur l'horizon mais ils ne voyaient rien de
l'aridité de la savane ; ils étaient encore emplis des couleurs de
la photographie que l'oncle Omar avait envoyée pour la famille. Sur
l'image on voyait le vieil oncle dans une rue pleine de lumières, de
gens et de boutiques avec de grandes vitres au travers desquelles on
devinait qu'il y avait toutes sortes de choses : des jouets, des
habits, des bouteilles et de la nouriture. Dans la lettre qui
accompagnait la photo, l'oncle disait qu'il reviendrait l'année
prochaine et la famille imaginait, parlait avec excitation des cadeaux
qu'il amènerait avec lui.
Dans la songerie de Boubakar, comme un reflet sur les vitrines, passa
la silhouette famélique du vieil éléphant qui hantait encore la
région. Boubakar se souvenait alors que l'an dernier déjà, l'oncle
Omar avait écrit qu'il rentrerait l'année prochaine.
·
Su-yin se leva sans faire de bruit et se dirigea avec précaution vers
le coin de la cabane où l'on remisait le bidon d'eau de pluie qui était
bonne à boire. Elle en but un peu. Ce matin, en plus de l'eau, elle
savait qu'elle pouvait prendre aussi un morceau de viande séchée. Car,
ce matin, Su-yin pourrait entrer dans l'usine de plastique pour
travailler et c'était pour cela qu'elle se levait en silence alors que
tous dormaient encore.
Su-yin était contente car elle savait qu'en ce moment, à l'usine de
plastique, on fabriquait des jouets. Avec un peu de chance, elle
pourra peut-être en faire tomber un et le cacher. Elle pourra alors le
ramener à la maison pour son frère qui ne pouvait plus aller travailler
à l'usine de plastique depuis que sa respiration s'était mise
à siffler.
·
Le menton posé sur son poing gauche et la barbe étalée sur son bureau,
le Père Noël faisait tourner de la main droite une toupie. Il se
demandait s'il existait encore.